Gilbert Boyer  /  PERMIS10H57

INDICES D’UNE DISPARITION

 

Permis10h57 est une œuvre in situ de l’artiste montréalais Gilbert Boyer qui prend pour sujet et objet, la trame urbaine et les piétons qui l’arpentent. 

Déployée sur une cinquantaine de lampadaires, se fondant tel un caméléon au mobilier urbain dont elle emprunte le langage, l’œuvre consiste en l’affichage discret de bribes de poésie.  Ces courtes phrases, phylactères de pensées volatiles qui habitent l’esprit lors de nos déplacements, invitent le passant à la rêverie et à l’introspection. L’artiste les a retranscrites de façon aussi légère qu’elles nous apparaissent, parfois incomplètes ou discontinues, sur des bagues métalliques cerclant les réverbères. Mettant la perception au défi de ses propres limites, ces réflexions furtives ne s’offrent qu’aux regards les plus perspicaces : « Seuls quelques individus les verront, les flâneurs, les disponibles, les observateurs, » déclare l’artiste, dans une démarche volontairement anti-spectaculaire.

Permis10h57 s’adresse aux marcheurs, aux passants, aux rêveurs, à l’intérieur d’un périmètre centré autour de la Fonderie Darling, estuaire du projet Fleuve-Montagne de la Ville de Montréal. C’est aussi un hommage à Panique au Faubourg (1997), un événement artistique auquel l’artiste a participé et qui a marqué les débuts de Quartier Éphémère, organisme fondateur de la Fonderie Darling.

Un premier groupe de textes revisite l’installation de l’époque, Collets de survie (1997), dont il subsiste certains éléments, parfois recouverts de peinture par ignorance des employés de la ville, renforçant leur invisibilité. Citons par exemple : PERMIS DE DÉCOUVRIR MA VILLE COMME SI ELLE ÉTAIT UNE ÉTRANGÈRE / PERMIS DE PENSER TOUT HAUT CE QUE JE DIS TOUT BAS / PERMIS DE PRENDRE LE TEMPS DANS MES BRAS. Ces permis se positionnent à rebours des panneaux de signalisation qui régissent le stationnement montréalais et interdisent plus qu’ils n’autorisent.

Le deuxième groupe procède d’un nouveau concept par lequel l’artiste cherche à provoquer une délocalisation virtuelle, invitant le regardeur à se projeter mentalement dans une autre partie de la ville : PAR HIBERNIA, SOUS LA VOIE FERRÉE / AU BOUT WELLINGTON / LE PARC / TU TOURNES À DROITE DES-FILLES-DU-ROY, C’EST LÀ / MERCREDI RV AU PARC LAFONTAINE À 6 H BEAU PAS BEAU / ST-ANTOINE OU SE TROUVAIT LE TERMINUS CRAIG J’IMAGINE SENTIR LA RIVIÈRE COULER. Ainsi l’artiste nous incite-t-il à agiter des souvenirs visuels et personnels, associés aux lieux évoqués. 

Cet entrecroisement subtil entre espace et temporalité, le jeu d’échelle à contre-courant des installations à grand déploiement, rappellent que l’essence même de l’art se manifeste parfois au travers d’une quasi-invisibilité, révélant au regard les indices d’une disparition.

- Texte de Caroline Andrieux