Artiste émergent, Antoine Caron porte son attention sur la société qui l’entoure et ses représentations collectives en créant des situations de dialogues entre ses œuvres, les visiteurs et leur environnement. Transfigurant la banalité des objets en déconstruisant le regard habituel, Antoine Caron questionne l’essence utilitaire de ces objets, pour en faire des éléments qui s’autodéterminent en dehors de leur utilisation première afin d’analyser des phénomènes sociaux et politiques. Il prête ainsi une attention particulière aux possibilités d’émancipation de ces œuvres et à la pluralité de sens pouvant se créer dans l’œil du visiteur au cours du temps.
Dans le cadre de l’œuvre présentée, Antoine Caron réinterprète le concept d’unité d’habitation en construisant une structure métallique dont chaque module-aquarium est habité par différentes sortes d’algues et par des objets récupérés dans les sous-sols de la Fonderie Darling. Théorisé par Le Corbusier et Nadir Afonso, l’unité d’habitation est un principe moderne d’architecture qui envisage des complexes d’habitations extrêmement fonctionnels aux allures esthétiques brutales et épurées. L’architecte construit de 1947 à 1952, la première unité d’habitation à Marseille qui prendra le nom de Cité Radieuse, ou encore de Maison du fada. En implantant un composant exogène -culture d’algues- à des composants préexistants -des objets récupérés-, Antoine Caron reprend le modèle de l’unité d’habitation et joue le rôle d’un planificateur urbain, d’un politicien ou encore d’un entrepreneur. Il développe alors une réflexion sur le phénomène de gentrification et le futur des condominiumset porte ainsi un regard critique sur l’utopie de Le Corbusier et l’échec de sa grande Cité Radieuse.
Ces objets du passé laissés à l’abandon prennent ainsi une nouvelle vie. Ils sortent de leur signification première pour revenir aux yeux des visiteurs comme des œuvres écrivant leur propre histoire au cours du temps. En utilisant des algues, éléments biologiques fragiles mais ayant une grande capacité de prolifération, Antoine Caron s’intéresse aussi au potentiel d’échec de son œuvre. Il place alors l’entropie au cœur de sa réalisation en jouant sur la possibilité aléatoire d’extension des algues et sur le devenir multiple de son oeuvre. Ces éléments organiques deviennent des vecteurs de désordre et de désorganisation qui donnent à chaque aquarium une évolution propre, comme autant de métaphores de nos sociétés contemporaines. On y trouve alors une tension certaine entre l’ordre humain et le désordre naturel, le quadrillage des condominiums de verre et le développement de l’écosystème interne, l’immobilisme des objets et la croissance imprévisibles des algues.
Unité d’habitation est ainsi une œuvre poétique et organique, qui nous plonge au cœur du passé de la Fonderie Darling tout en proposant une vision sur des enjeux politiques et sociaux très actuels. L’œuvre présente tout au long de l’été devient un tissu métallique fait d’interstices à remplir, un cadre troué de lignes de fuites, qui émergera et se transformera au cours de sa période d’exposition. Tout comme Alison Knowles il y a plusieurs décennies, Antoine Caron matérialise pour la Place Publique son propre quatrain, et donne à voir une œuvre ouverte toujours en évolution :
Une maison de verre,
Utilisant la lumière naturelle
Habitée par des algues et des objets anciens
Sur la Place Publique, au cœur de Griffintown
Antoine Caron finalise actuellement son baccalauréat en Beaux Arts mention arts plastiques à l’Université Concordia (Montréal).
Après avoir participé tout au long du semestre à un programme de recherche autour de la Place Publique supervisé par Michael Robinson et Caroline Andrieux, Antoine Caron a été sélectionné pour présenter Unité d’habitation dans le cadre de l’exposition The House of Dust d’Alison Knowles, présente dans les salles intérieures de la Fonderie Darling.
Théo Gorin
Commissaire
Théo Gorin