Jon Knowles  /  Mixed Misuse

"There's a mushroom on my eyelid
There's a carrot down my back
I can see in the distance
A vast quantity of beans
To you I'm just a flavour
To make your stew taste nice
Oh my god, here come the onions
And - I don't believe it!
at least a pound of rice.
There was a time when bacon sandwiches
Were everyone's favourite snack
I'm delicious when I'm crunchy
Even when I'm almost black
So why you make a soup with me
I just can't understand
It seems so bloody tasteless
Not to mention underhand.
Now there's no hope of getting out of here
I can feel I'm going soft
Dirty waters soak my fibres
The whole saucepan's getting hot
So I may as well resign myself
Make friends with a few peas
But I just, I can't help hoping
That a tummy ache will bring you to your knees
Bring you to your knees
Bring you to your knees
Bring you to your knees"

Soup Song par Robert Wyatt (1975)

Cette exposition souligne la contiguïté entre production et monstration en tablant sur une période de deux ans et demi d’investissement du type de comportement que suscite une pratique artistique dans un atelier (salle de démonstration stratégique, salon illusoirement domestique, atelier artisanal, etc.) de la fonderie Darling. J’ai circonscrit ce mode de production en atelier à travers une esthétique du remploi et une réorientation de la fonctionnalité, tout en prenant conscience qu’une certaine usure performée caractérisait l’environnement de la Fonderie. Depuis quelque temps, j’ai aussi réalisé que je concevais l’exposition principalement pour ma propriétaire. Bien entendu, elle sera vue par mes pairs, des collègues et un grand public fictif constitué d’amateurs d’art, de curieux de la culture ou de groupes d’intérêt aux contours incertains.

Exposer chez sa propriétaire évoque le scénario typique du locataire qui reçoit le propriétaire et lui prépare un repas tout en réparant son robinet fuyant. L’autonomie, la capacité d’agir pour soi, ainsi qu’une économie du don contribuent à la transaction. Il va sans dire que l’amitié peut naître entre les deux partis comme conséquence de cette situation contingente. Réparer un robinet qui fuit ou améliorer matériellement le logement d’une quelconque manière (tout en nourrissant le propriétaire) bonifie la valeur du logement. Le propriétaire en tire des bénéfices ainsi que, provisoirement, le locataire. Les locataires le font constamment. Au gré des améliorations du logement (corollairement de la propriété) et dans la mesure où les locataires du quartier travaillent de concert selon une logique de bonification architecturale, le secteur puis la propriété prendront graduellement de la valeur. Les promoteurs immobiliers et les banques sont engagés au premier chef dans ce processus. En périphérie de la réciprocité de services plutôt modeste entre locataires et propriétaires (bien que l’échange de bons procédés ne soit jamais dépourvu de rapports de pouvoir et d’une certaine complexité), comment transiger avec ceux qui espèrent faire augmenter la valeur du quartier sans lever le petit doigt? Quel est mon petit métier dans cet état des lieux?

Quel rôle la Fonderie Darling joue-t-elle dans la création de plus-value au sein du quartier Griffintown? Aujourd'hui à Montréal, on sent que se profile dans l'air une remise en question des valeurs (et plus généralement du processus de réévaluation). Cet hiver et ce printemps, l'accent a été mis sur l'éducation. Comment ramener cette réévaluation dans le périmètre de la Fonderie Darling (et dans le champ artistique montréalais) sans coquettement nous approprier les tactiques que déployaient les étudiants lors de leurs soulèvements (et comment osons-nous dire « nos » étudiants, car après tout, ce processus social interpelle l'ensemble d'une population sans égard à une quelconque économie libidinale entre les générations)? Quelles sont les conséquences de la crise de la représentation qui survient au moment de concevoir une exposition pour sa propriétaire (ou lorsqu’on paie pour étudier ou devant un bol de soupe à douze dollars, dans un restaurant décoré d’affiches de la période maoïste de Godard)? Il me semble nécessaire d'examiner le mythe de la marginalité alimentant le milieu artistique montréalais (pour qui la notion de marché de l'art est si neuve qu’on s'éblouit en contemplant un atelier chromé encastré dans une vitrine). Peut-être est-il temps de réparer le robinet fuyant d'idées, puisque ce qui a lieu à la Fonderie Darling est séparé de ce qui arrive ailleurs sur la même rue dans cette « grappe industrielle » de production de savoir, de services et d'affects. S'il y a une quelconque ambiguïté dans cette exposition (et de la naïveté dans ce texte), c'est en raison du sentiment qu’il faut désespérément appréhender l'exposition pour la propriétaire comme l’un des ingrédients de la soupe où nous mijotons tous, quitte à susciter une certaine gêne.

Jon Knowles, (printemps 2012)

Texte de Vincent Bonin

Dans chacune des pièces, des cloisons ont été aménagées pour s'assujettir aux poutres d'acier en « I » de la structure portante originale de l'immeuble. Ces pièces sont strictement réservées à l'usage privé des locataires, tandis que des aires communes – corridors, cuisine – facilitent les rencontres impromptues. Des lattes de bois minces de 2' par 6' pouces séparent les plafonds du plancher. Les bruits et la fumée de cigarette filtrent d'un étage vers l'autre. Le soir venu, lorsque l'une des pièces se trouve dans l'obscurité complète, des faisceaux lumineux traversent également les interstices entre les lattes. Le matin, une couche de suie recouvre le sol et les tables d'appoint.

Les murs de briques de verre translucide distribués sur deux côtés de l’enceinte architecturale sont considérés comme l’une des caractéristiques distinctives de la maison. Contrairement aux dispositifs de fenestration réfléchissant la lumière naturelle à la manière d’un miroir sans tain et révélant graduellement l’espace domestique au coucher du soleil, ces murs privent le propriétaire, ainsi que les passants, d’une image nette de l’intérieur ou de l’extérieur. Le jour, la lumière naturelle traverse les blocs. La nuit, cette enceinte est éclairée artificiellement (à l’avant et à l’arrière) grâce à des projecteurs fixés sur des tasseaux et des échelles. Que l’on se place de l’un ou de l’autre des versants de cette interface, un clignotement devient perceptible, qui signale du mouvement et des événements sans nécessairement évoquer la présence humaine. Le premier étage est consacré aux activités professionnelles diurnes et le troisième à la vie privée nocturne. Entre les deux étages se trouve le piano nobile. Les pièces communicantes, certaines d’entre elles occupant deux étages, soulèvent un problème d’insonorisation difficile à résoudre.

Il y a une centrale électrique devant l'immeuble, percée d'ouvertures translucides, où l'on ne perçoit que les clignotements lumineux des machines. C'est la vue qu'il avait depuis le troisième étage.

Le propriétaire s’est isolé dans une alcôve pour manipuler le câblage d’une lampe antique. Non loin de là, sur une grande table, il avait aligné de vieux robinets, tuyaux et autres éléments de plomberie fabriqués au début du siècle, qui semblaient attendre qu’on les répare. « Je les laisse ainsi, car leur aspect esseulé me rappelle mon père. Après avoir complété les beaux-arts, il a abandonné la profession d’architecte, s’est trouvé un emploi d’urbaniste et a acheté une maison de banlieue. Il comptait cependant construire sa propre maison. Lors de ses séjours d’étude aux États-Unis et en Europe à la fin des années 1960, il avait photographié des centaines d’immeubles modernistes. Ces diapositives étaient dépourvues de figures humaines, à l’instar de la plupart des images prises au cours de nos voyages en famille quelques années plus tard. »  Il me guide ensuite vers la mezzanine, baignée d’une lumière sous-marine filtrée à travers ces fameux blocs de verre et réfléchie contre les dalles de caoutchouc du plancher maintenant recouvertes de fissures et d’aspérités. Remarquant que je m’attardais aux détails, il a précisé : « J’ai tenté de conserver la maison dans l’état où je l’ai trouvé. Cette volonté découle de mon intérêt pour l’originalité. Les choses originales disposent d’une patine qui se révèle avec le temps, constituant peu à peu l’esprit ou la personnalité du lieu ».

 « Le territoire d’occupation d’intervention du projet est à la fois régional et national. Le bassin d’entreprises associé au secteur du multimédia est fortement concentré dans la région métropolitaine et dans les quartiers péri-centraux de Montréal. Cette réalité a forcément un impact sur la définition du territoire d’intervention du projet qui devra tenir compte de la double dynamique territoriale. Cette double dynamique est composée d’un secteur de spécialisation économique qui renvoie à un territoire minimalement régional et d’une volonté, au début du moins, d’apporter une réponse pour la réhabilitation du Faubourg en vue d’intensifier une occupation mixte. La Cité du Multimédia constitue un nouvel outil de développement économique local/régional associé au mode d’organisation de la nouvelle économie. Dans ce sens, ce projet met l’accent sur la qualité des emplois qui seront créés, des infrastructures immobilières et technologiques, de l’environnement et des relations sociales à construire. »

 « Le territoire d’occupation d’intervention du projet est à la fois régional et national. Le bassin d’entreprises associé au secteur du multimédia est fortement concentré dans la région métropolitaine et dans les quartiers péri-centraux de Montréal. Cette réalité a forcément un impact sur la définition du territoire d’intervention du projet qui devra tenir compte de la double dynamique territoriale. Cette double dynamique est composée d’un secteur de spécialisation économique qui renvoie à un territoire minimalement régional et d’une volonté, au début du moins, d’apporter une réponse pour la réhabilitation du Faubourg en vue d’intensifier une occupation mixte. La Cité du Multimédia constitue un nouvel outil de développement économique local/régional associé au mode d’organisation de la nouvelle économie. Dans ce sens, ce projet met l’accent sur la qualité des emplois qui seront créés, des infrastructures immobilières et technologiques, de l’environnement et des relations sociales à construire. »

« Je n’étais plus en mesure de rester enfermé chez moi. Il fallait que je sorte. J’ai même pensé abandonner ma profession de traducteur pour occuper n’importe quel emploi dans l’industrie des services à la clientèle. Il m’arrivait de passer une semaine complète sans adresser la parole à personne, excepté les caissiers, les vendeurs dans les magasins. Les amis se faisaient rares. La plupart d’entre eux sont en couples, alors ils cessaient de m’appeler, faute de temps ou peut-être parce que ma présence devenait insupportable à la longue (lorsque je les vois, je me mets à parler sans m’arrêter, comme si j’avais accumulé un trop plein pendant les hiatus de solitude). J’ai décidé de me louer un bureau dans cette aire commune. Maintenant, le matin, je peux amorcer ma journée en discutant avec des amis qui partagent le même quotidien. Bien que nos champs d’activités professionnelles soient (…) »  « Avant de pouvoir travailler, je me livre à un exorcisme. Premièrement, je dois bannir les inconnus, et finalement, ma famille. Puis, lorsque je sens que cet espace est vidé de ces présences indésirables, je vois (…) » « Ces jours-ci, j’y entre avec moins de langage qu’autrefois et je commence par imaginer des formes. À travers le jeu de ces formes (…) » « Ce qui se passe ici est précédé de rêveries, de choix et d’esquisses dans un espace que je revendique comme le mien. Je me souviens de certains lieux plus que d’autres, non seulement par leurs dimensions, leur décoration ou leur localisation, mais à cause des petites épiphanies qu’ils ont suscitées. » « J’y ai rencontré ma conjointe et nous avons maintenant un fils de deux ans et demi. » « Ce lieu semble aussi peu pertinent que ce qu’on en tire en fin de compte. Aujourd’hui, on ne définit plus son travail en fonction d’un site physique, mais en lien avec des champs d’intérêt, des modèles géographiques et des technologies. (…) » « Ce lieu est rempli de choses – des objets trouvés, des objets fabriqués, des choses qui m’aideront peut-être à faire d’autres choses. (…) » « À ce jour, je suis nostalgique de temps plus simples où j’attendais avec frénésie que les muses me transportent de ce lieu vers des territoires sans carte (…) » « Il est gênant d’entendre les conversations de nos collègues, mais on s’y fait à la longue. » « On devient sensible à la façon dont ce lieu est utilisé, car il ne semble pas devenir désuet à mesure qu’on l’investit. Notre pratique peut changer, mais il faut toujours y retourner. »

J’ai décidé d’ajouter au titre Mixed Misuse le mot mélodrame, faisant référence au film de la chorégraphe YR, Life of Performers : a melodrama (1972). Le film commence avec un plan- séquence des membres de sa troupe dansant dans un espace qui ressemble à un loft. On entend la voix d’YR donnant des consignes. Puis, sur des plans fixes de photographies de leurs performances, les interprètes se mettent à décrire les intrigues amoureuses qui se nouent et se dénouent pendant les hiatus de vie commune. Il y a quelques années, je t’avais proposé de projeter ce film dans ta galerie. En descendant au sous-sol, on découvrait un lieu que tu avais aménagé comme un quasi-cube blanc. Au cours des vernissages, les invités se regroupaient dans la cuisine. Je me sens, en règle générale, assez indisposé lors de ces rituels sociaux et alors j’allais me réfugier au sous-sol. J’y étais souvent seul, car une fois qu’ils avaient vu l’exposition, les gens montaient à l’étage.

Je crois que c’était en 1997. La grande salle était presque vide et illuminée uniformément par les prismes d’une boule disco. Une chanson de Frank Sinatra jouait en boucle. Au centre, on avait installé une espèce de pastille, en fait, une plateforme motorisée qui tournait sur elle-même. Les visiteurs entraient dans cet espace à leurs risques et périls.

 Plan de tournage (grande salle) : 1. Pile de pantalon qui rebondit. -Autre angle en hauteur, chute, coupe. -Sur des tables de bois (surface en métal) 2. Lentilles macro A. Boutons 2-3 B Insignes d’identification 2-3 C. (idées de plans rapprochés) - À travers des ceintures bouclées. -Sur crête 3. Pantalons qui bougent - On les revêt, puis on les boutonne. 4. Jeans suspendus – mur texturé. 5. Accroupi devant le mur texturé. Blanc. Plan rapproché.

En 1966, ce programme consistait à définir les mouvements quotidiens et les tâches comme des gestes suffisamment chargés pour désamorcer l’exhibitionnisme de la performance. Les artefacts industriels avaient un statut différent lorsqu’ils faisaient irruption dans un cube blanc ou sur une scène. Le moment de transition entre la danse et le cinéma dans sa pratique marquait également la faillite de ce projet où les objets « disaient la vérité ». Elle relatera plus tard cet échec : « Je me suis assis avec mon walkie-talkie sur le balcon en retrait observant l’aire de performance de 200 x 200 pieds comme un sultan surveillant ses troupes dans un vaste champ de bataille. (Ce choix d’une position impériale m’a gêné par la suite. Pourquoi ne pas avoir laissé les performeurs libres de déplacer les objets à leur guise? Après tout, ma pièce avait comme programme de mettre en relief « l’idée de l’effort et de trouver des moyens précis afin que cet effort devienne perceptible ou pas», mais non, il fallait que je dirige tout). »

 On a inscrit sur le carton « avec la participation de ». Pourquoi en fin de compte avait-on décidé de me faire commissaire? Tu désirais toi-même t’entourer de collaborateurs, mais il semble que ce vœu ait été mal interprété. Je défends complètement le parti pris de ceux qui décident de ne pas travailler avec des commissaires. Définition du verbe « policer » : rendre civilisé, adoucir les mœurs. Comme ton projet se rapporte aux questions de la valeur d’usage et de la valeur d’échange, je devais « méditer » de nouveau sur cette anecdote, car les textes commandés par les institutions (et les artistes) pour accompagner les expositions deviennent souvent de simples outils promotionnels. On utilise le nom des auteurs afin d’ajouter un certain prestige au projet – dont bénéficient à la fois les artistes et les institutions. Cette publicité découle d’une transaction –lorsque l’auteur est connu, il faut le rémunérer en conséquence pour profiter de la plus-value du nom. Je ne fais pas partie de ce groupe. Il y a, bien évidemment, l’autre cas de figure de textes produisant cette valeur – le communiqué de presse – dépourvu de signature, dans lequel on condense cependant toutes les voix (celle de l’artiste, de la galerie, des commentateurs). Il est toujours difficile de chiffrer exactement la dette résultant de cet échange de bons procédés. L’artiste peut proposer à l’auteur de lui donner une œuvre ou d’offrir un service, mais l’institution qui s’interpose entre les deux partis fait en sorte que l’amitié est protégée et reste, pour ainsi dire, en exergue. Même au sein d’une situation où deux amis (le premier auteur, le deuxième artiste) décident de collaborer, le paiement d’un cachet évite le flou d’une économie du don. Au début de nos discussions, j’avais évoqué ce modèle qui m’apparaissait comme une tentative réussie de « faire des bons comptes » : un artiste et un historien d’art. La galeriste leur a demandé de travailler ensemble. Le premier écrirait des textes sur le travail de l’autre moyennant un salaire hebdomadaire pendant un an. Le deuxième utiliserait ce matériau pour produire une nouvelle œuvre. Au final, l’artiste a réalisé une vidéo composée d’extraits remontés d’un film où défilaient des sous-titres – le texte de l’autre. La contribution de l’auteur était cantonnée à cet espace de visibilité. Son manuscrit se trouvait dans le bureau de la galeriste. L’œuvre était à vendre. Je jugeais ce scénario un peu cynique, même s’il constituait selon moi la seule façon de rendre perceptible cette « dimension mercantile de l’écrit ». Il fallait inventer quelque chose de plus simple. À la limite, je n’étais pas gêné que mon intervention s’efface complètement. « Avec la participation de » - cela aurait pu se limiter au geste simple d’interpoler un objet dans ton exposition. Aurais-je mérité le titre de collaborateur et que mon nom figure sur le carton d’invitation? Je doute que tu retiennes ce segment dans la version définitive du texte. Lorsque je t’en avais soumis une ébauche, tu me faisais cette suggestion qui masquait peut-être ton désir de ne pas être l’un des protagonistes de mon récit : « I would take my name out. I know this takes it out of the dialogic context, but it seems interesting to imbue the text with something more introspective. » J’ai longuement médité sur la façon d’écrire quelque chose d’introspectif « autour » de ton travail. Tu me suggérais également de débuter en discutant de la panne d’écriture. J’ai alors repensé à une séance particulièrement désagréable chez un thérapeute, qui m’avait laissé parler et au bout d’une demi-heure, s’était permis de poser un diagnostic sommaire : « vous souffrez de logorrhée ». C’était, il me semble, la chose à ne pas dire pour susciter la prise de parole. J’ai écrit le texte comme une longue digression. Je ne maîtrise pas toutes tes références et dès lors, j’ai utilisé des voix empruntées. Il y a, bien évidemment, des références bibliographiques associées à chacun des extraits paraphrasés, mais cela reste entre nous.

Deux éléments articulés l'un à platine fixe triangulaire et l'autre à deux éléments pivotants à platine à trois lames de métal et attaches cerclées. Haut. 103 cm - diam. 50 cm. Ici, la fonctionnalité est également voilée ou plutôt désamorcée – la jardinière évoque autre chose, une figure humaine… Il l’a fabriqué à partir de photographies et de ton dessin (extrapolant les détails peu visibles dans l’image). Tu l’as payé pour ses services. Lorsque nous avons discuté de ce protocole de délégation, j’avais ramené la question du « poststudio » et tu m’as arrêté tout de suite en précisant qu’il ne s’agissait pas de représenter le découpage des tâches – ou de rendre perceptible une quelconque référence au clivage entre travaux manuels et intellectuels.

Cache-toi, objet! Cela était pertinent en 68. Aujourd’hui, on parle de nouveau d’anthropomorphisme en réactualisant la problématique du ready-made. Les objets ne peuvent plus s’afficher dans leur nudité (de marchandise). Qu’ils soient déplacés hors de leur contexte ou qu’ils soient échangés, ceux-ci n’existent qu’au sein du cadre d’énonciation constitué par une communauté de locuteurs partageant les mêmes codes et participant aux mêmes séries de transactions. Pourtant, malgré ce fétichisme généralisé, certains objets restent orphelins. Même lorsqu’on les associe à leur auteur, ils continuent de transmettre leur caractère esseulé ou, dans le meilleur des cas, ils convoquent l’absence de l’économie archaïque qui leur donnait une raison d’être au premier chef.

« Plus d’heures d’amour que ce qu’il ne serait jamais possible de payer » — cette phrase a été interprétée comme l’insigne d’un geste de générosité. Or en l’écrivant, il faisait référence à une stratégie adoptée par la classe ouvrière pour s’extraire de la misère sexuelle et affective. On a produit un cadeau (ici le vêtement tricoté), dont l’apparence matérielle permet de chiffrer symboliquement l’effort et donc de quantifier la valeur de la dette (entendue comme valeur d’usage). Cette transaction reléguée au plan d’un désir jamais satisfait — l’amour non réciproque — donnait lieu à un contrat tacite entre producteur et destinataire.

« On pourrait interpréter tes tactiques comme un ultime antiidéalisme, ou une forme de réalisme approximatif (…) La question qui subsiste : que cache l’effigie (…) Car l’effigie présente les produits de la culture de l’élite sous le couvert d’un simulacre morbide. La tactique ouvre également ces formes à la substitution, ainsi qu’à la probabilité qu’elle soit mobilisée par d’autres dynamiques, d’autres pulsions, d’autres « cultures ». Quelle est donc l’entité qui prospère derrière cette surface, quel cœur, s’il y en a un, bat derrière la façade? »

 En se débarrassant de ces objets dans l’espoir d’annuler la dette, leur propriétaire voulait également oublier un épisode de son existence (ou un être qui se liait à lui, avec violence, en vertu de cet échange symbolique). Il les ferait dès lors circuler dans le marché secondaire. Un jour, ils allaient resurgir par millier, à la manière d’une marée, retenue pendant des années. Le ressac laisserait de petits animaux sur la grève, poussant leur dernier souffle. La végétation s’agripperait sur les poutres abandonnées jusqu’à les couvrir complètement. Au bout de quelques années, il n’y aurait plus aucune trace de l’événement.

La pièce serait désormais presque vide, à l’exception des outils, tables, et autres objets retranchés dans un coin. Je le remplacerais lors de son quart de travail, assis devant un mur blanc qui garderait encore quelques marques de peinture. On entrerait en pensant le rencontrer (car son nom se trouve sur la porte) et les inconnus estimeraient d’abord qu’il s’agit bien de lui. J’éviterais d’engager la discussion. Lorsque des proches ou des collègues feraient irruption, ils seraient interloqués de me voir là, manquant à sa place. Je me mettrais à lire ce texte. Je poursuivrais ma lecture en m’arrêtant au moment où la pièce serait de nouveau vide. Le bruit de la fête émanerait des étages du dessous. Vers minuit, il viendrait barrer la porte. Une quantité phénoménale de déchets se serait accumulée dans la rue.

Jon Knowles tient à remercier les personnes suivantes: Caroline Andrieux, Lorna Bauer, Vincent Bonin, Esther Bourdages, Lloyd Davis, Alfonso Esparza, Pierre Giroux, Florence S. Larose, Sergio Leon-Chantres, Luc Paradis, Laurent Sasiela, Steve Topping ainsi que les bénévoles, stagiaires, artistes and résidents de la Fonderie Darling.
L’artiste reconnaît le soutien du Conceil des Arts et des Lettres Québec.

Oeuvres exposées

  1. The Roomate, 2012
    Mur sur mesure, 24 blocs de verre, pull tricoté à la main, fil de pêche, éclairage
  2. The Neighbour, 2012
    1 réplique du design de Pierre Chareau pour support à plante en acier laminé
  3. The Subletter, 2012
    1 réplique du design de Pierre Chareau pour système d'accrochage photographique en acier laminé
  4. The Tenant, 2012
    31 fausses poutres en I tirées des ateliers d'artistes de la Fonderie Darling, mdf, peinture, corde, légumes factices
  5. The Resident, 2012
    1 réplique du design de Pierre Chareau pour « paire de chenets », couverture, fruits factices, cafetière, plaque chauffante
  6. The Visitor, 2012
    Robinetterie, câble d'aéronef
  7. Untitled, 2012
    Métal trouvé, robinet antique

Jon Knowles

Jon Knowles a étudié au Nova Scotia College of Art and Design (Halifax), à la Cooper Union (New York City) et à l’Université Concordia (Montréal).