Donna Ackrey & Yvette Poorter  /  Palaindrome

En collaboration, elles réalisent à la Fonderie Darling une chambre fermée composée d'objets trouvés dans les rues de Montréal, dont la plupart proviennent des poubelles. Leur cueillette journalière a débuté dans un contexte particulier: au début du mois de juillet au moment où les gens déménagent au Québec, et où les rues en sont alors pleines. Cette chambre porte deux identités : celle de la rue, espace public, et celle de l'intimité, espace intérieur. Les objets exposés passent de l'espace privé à l'espace public, et recyclés, ils entament une seconde vie en tant qu'œuvre d'art. Une fois l'exposition terminée, ils retourneront dans la rue, autre étape de transition. Dans l'espace de la Fonderie Darling, l'intérieur et l'extérieur tendent également à se confondre.

L'usage de l'objet n'est pas nouveau dans l'histoire de l'art. Les Nouveaux Réalistes français, pour ne nommer qu'un groupe, en ont fait leur matière première et leur pratique rappelle l'Arte Povera né en Italie à la fin des années 60 où tous les objets utilisés font office de matière brute. Chez Poorter et Akrey, les objets hétéroclites issus du quotidien domestique ne sont pas présentés uniquement à des fins esthétiques, ils sont des matériaux de construction et servent à édifier les cloisons d'un habitacle. Ces innombrables objets robustes (fauteuils, chaises, bureaux, machine à laver, miroir, valises...) envahissent l'espace en se déployant par accumulation : les pièces s'imbriquent, s'empilent, s'assemblent. Le titre Palaindrome est un néologisme possédant deux niveaux de lecture. Il se réfère directement à son homonyme, palindrome, désignant un mot ou groupes de mots qui conservent le même sens lors de leur lecture de gauche à droite et de droite à gauche. Les deux espaces reprennent ce schéma : le lieu peuplé de vieilles reliques industrielles, et d'objets vétustes répondent à la petite salle mise en œuvre. En outre, les deux espaces se font échos, génèrent un dialogue réversible sur la notion de recyclage. L'exposition coïncide avec l'aménagement de Quartier Éphémère dans cette friche industrielle. Aussi, l'ajout du a comme trait d'union entre pal et indrome contribue à souligner les deux acceptions : le premier signifie un outil au bout pointu, renvoyant à la notion de camper, d'établir quelque chose quelque part; le deuxième terme désigne en latin « en vue d'une course », il dénote l'idée d'un processus en développement de la chambre dont le public aura l'occasion de voir les étapes de sa conception.

Pendant l'exposition, elles interviennent dans la ville en fabriquant de faux mobiliers à partir de palettes de bois abandonnées et laissent sur place leurs constructions bricolées tamponnées d'une notice expliquant brièvement le contexte artistique. Elles cherchent à créer un espace conviviale rappelant l'espace domestique et anticipent la participation des passants avec leur salle à coucher, leur salon et leur salle à dîner. Alors qu'une chaise fait partie de la parois de la chambre close, une palette démontée se transforme en chaise.

Par ces petits refuges urbains et la chambre, les artistes démontrent la permutation et la polyvalence de l'objet. Chez Akrey et Poorter, sa poétique résident dans ses multiples possibilités expressives à le faire chevaucher entre le privé et le public.

Esther Bourdages

Donna Ackrey & Yvette Poorter

Donna Akrey et Yvette Poorter s'intéressent à la ville et aux gens qui l'habitent. Leur travail respectif se concentre sur l'installation et l'art in situ. Par le biais de la réutilisation de l'objet, elles créent des constructions utopiques.