Capteurs de Lumière
La fragile installation My Darling de Karilee Fuglem investit subtilement l'architecture industrielle de l'ancienne fonderie. À la massivité et à l'ampleur du lieu, l'artiste répond par la légèreté et la finesse en faisant osciller visible et invisible.
Tel le Tao qui favorise la complémentarité du plein et du vide comme fondement à toute harmonie, Karilee Fuglem emplit la Fonderie Darling d'une œuvre immatérielle. «In the past few years, I have been making work that aims to articulate space as a non-visible fullness1» dit l'artiste alors qu'elle a installé, du point le plus haut de l'édifice, d'immenses fils à peine perceptible. Leur hauteur et leur multitude2, leurs différentes réflexions à la lumière, composent une masse translucide qui matérialise l'imposant vide3. Matériaux opaques ou transparents, fils de nylon et de silicone, papilles de vinyl, lentilles et flaques d'eau, interceptent la lumière et réflètent parfois les rayons du soleil. Il se crée alors un univers secret, intime, organique et englobant qui invite le visiteur à une nouvelle lecture de l'espace.
Quand la Fonderie Darling était encore en ruine4, la pluie s'infiltrait par les fenêtres à moitié détruites et par des trous percés dans la toiture. L'eau s'écoulait librement selon une nouvelle trajectoire, réorientée par différents obstacles. Les gouttes se matérialisaient à la lumière, puis s'accumulaient à certains endroits5. Telle une pluie cristalline, l'œuvre de Karilee Fuglem me rappelle cette époque. Les références au passé, liées à l'emplacement du site, ponctuent également, mais d'une toute autre façon, l'installation à laquelle le titre My Darling est dédié. Karilee Fuglem a extrait de l'histoire du quartier divers personnages à qui elle rend hommage en inscrivant leurs noms sur de petits morceaux de vinyl transparents. Certains sont accrochés à des fils de nylon, pointant en direction du fait historique révélé. Parfois ils scintillent tels des lucioles afin de signifier leur passage éphémère sur cette terre.
Caroline Andrieux
Directrice artistique, Fonderie Darling
1-«Ces dernières années, j'ai créé des œuvres qui tendent à articuler l'espace comme un plein imperceptible»
2-d'une hauteur de 38 pieds (environ 12.5m) et entre 600 et 700 fils ont été posés.
3-«the Darling Foundry is a pretty intimidating in scale but a want to show how intimate it can be» Karilee Fuglem / «la Fonderie Darling est un espace très intimidant et j'ai voulu montrer comment c'est un espace assez intime.»
4-De 1999 à 2001, Quartier Éphémère avait installé une roulotte de chantier afin de manifester pour la préservation de la Fonderie Darling.
5-Serge Provost, artiste français en résidence s'en est inspiré pour son œuvre «Flaques d'eau» 2000-2002, œuvre permanente à la Fonderie Darling. Ceux sont 3 éléments de plomb, intégrés dans le nouveau sol de béton lors des rénovations en 2002. Ils constituent le moulage de trous de l'ancienne dalle qui les jours de pluie formaient des flaques.
Karilee Fuglem
Originaire de la Colombie-Britannique, Karilee Fuglem vit à Montréal depuis 1989. Elle poursuit une pratique artistique sciemment réceptive aux subtilités de la communication non verbale qui module la vie dans une ville bilingue. Réalisées avec du fil presque aussi transparent que l'espace qu'elles décrivent, ou avec des matériaux familiers devenus magiques parce que, réimaginés, ses oeuvres d'art parlent de lumière, de mouvement et de sensations viscérales – un langage souterrain né d'une considération attentive/compréhension approfondie de l'environnement dans lequel il se situe.
Elle a eu des expositions personnelles à la Two Rivers Gallery (2010), MacLaren Gallery (2009), Koffler Gallery (2008), Fonderie Darling (2006); à Oakville Galleries; (2003), à la Southern Alberta Art Gallery, Lethbridge (2001) et chez Optica, Montréal (1996). Elle expose aussi dans de nombreuses expositions de groupe au Canada, entre autres, au Musée de Rimouski, à La Manif, Québec (1999), la Biennale de Montréal (2011, 1998) ainsi qu'au Musée des beaux-arts du Canada (2007), au Musée national des beaux-arts du Québec (2010, 2004) et au Musée d'art contemporain de Montréal (1997), des institutions qui ont tous acquis son travail. En 2012, elle installait une oeuvre majeure d'intégration à l'architecture au siège social du Cirque du Soleil, The Weight of Light.
Commissaire
Caroline Andrieux