Pascale Théorêt-Groulx s’intéresse à la dichotomie entre la science et l’humain, entre ce que l’une a de savant, d’irrévocable, de théorique et ce que l’autre a de maladroit, d’affectif et de perceptible. Non sans humour, par le biais d’installations, de sculptures et de vidéos, dans des propositions légères en apparence bien que réflexives, l’artiste confronte ces deux mondes aux oppositions parfois très prononcées.
Par exemple, la sculpture Machine à bulles, un caisson en plexiglas rempli d’eau dans lequel est plongé un tuyau connecté à une pompe responsable d’un bouillonnement de bulles d’air, est la reproduction miniature d’une machine utilisée dans certains centres aquatiques pour amortir l’impact des plongeurs au contact de la surface. Cette installation fait sourire par la suggestion du plongeon raté qu’elle évoque et de la maladresse involontaire du sportif. Dans la continuité, se trouve suspendu au plafond un moniteur qui force le regard vers le haut. L’image diffusée surprend par le jeu d’inversion qu’elle propose : un plongeon à répétition dans un tourbillon de bulle. Ou encore cette combinaison de cosmonaute pour le moins improbable, faite à partir d’une membrane, greffée de ballons remplis d’air pour la performance le soir du vernissage et dont une danseuse s’est revêtue, et qui semble vouloir défier les lois de l’apesanteur et les limites du DIY. Ce défi d’apesanteur peut également s’appliquer à la vidéo Monter en bas présentant en fond d’écran un ciel dont les nuages défilent imperturbablement. Sur celui-ci apparaissent de façon intermittente, projetés dans l’espace tels des images subliminales ou des hallucinations, des flashs de capsules dans lesquelles des actions mystérieuses et des objets non identifiés, des exclamations et des rires, apparaissent et résonnent subrepticement. Pour accentuer la fragilité du phénomène, le projecteur est déposé de manière précaire sur un bloc de béton, à la limite de l’instabilité. Cet échafaudage est tout aussi instable que la construction régissant la vidéo À Perpétuité dont l’écran est suspendu par 2 câbles et déposé sur un coussin de papier bulle de manière à l’incliner vers l’arrière. Elle présente en plan rapproché la tête d’une femme vue de dos, couchée sur le sol. Des balles de ping-pong, parfois en suspension, parfois tombant et roulant sur elle, se succèdent et rythment cette action douteuse.
Par ces confrontations, Théorêt-Groulx cherche à pointer le décalage entre la vérité scientifique et le monde sensible, le savant et le profane, le rationnel et le créatif, dans des propositions qui défient allègrement les codes esthétiques autant que les lois de la physique.
Caroline Andrieux
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À enfiler en cas d’urgence
Un texte écrit par l'artiste pour sa performance du 13 juin 2019.
En dehors de notre atmosphère protectrice, le corps humain est soumis à une multitude d’aléas qui altère ses fonctions vitales. La perte de conscience, le bouillonnement des fluides corporels et les coups de soleil sont quelques-uns des désagréments à anticiper dans le cas d’une propulsion impromptue dans l’espace. Notre corps n’est décidément pas conçu pour survivre en dehors de la troposphère, mais ce ne sont pas le manque d’oxygène, la dépressurisation, l’exposition directe aux rayons UV ou les températures extrêmes qui allaient décourager notre espèce. Depuis 1961, plus de 560 astronautes ont été déployés dans l’espace.
Ce n’est pas non plus ce qui allait décourager le chercheur américain Cameron Smith à la Portland State University qui, depuis les 10 dernières années, travaille sur la conception d’une combinaison spatiale fait-main et bon marché. Son objectif : un coût de production de 1000 dollars face à une compétition féroce : la NASA qui dépense quelques 12 millions de dollars par combinaison. 12 millions de dollars pour garder un seul corps humain en vie dans l’espace.
À l’évidence, nous avons maintenant développé la technologie pour maintenir notre petit corps en vie dans des conditions extra-terrestres, mais qu’en-est-il des conditions propres à notre planète? Dans l’éventualité d’un cas de force majeure, j’ai moi-même conçu, avec la précieuse collaboration de Marie-Ève Chagnon, une combinaison pressurisée fait-main et bon marché. Le titre l’indique, elle ne doit être enfilée qu’en cas d’urgence.
Le 13 juin, cette urgence se fera sentir. La combinaison sera enfilée et testée jusqu’au bout. Au bout de quoi? Jusqu’au bout, tout simplement.
Pascale Théorêt-Groulx
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L'artiste aimerait remercier Mainfilm et Oboro, Ileana Hernandez Camacho, Marie-Ève Chagnon, Mathilde Mercier-Beloin et le Centre aquatique de Pointe-Claire pour leur précieuse contribution.
Pascale Théorêt-Groulx
Pascale Théorêt-Groulx est diplômée d’une maîtrise en Media Arts de l’Université Emily Carr de Vancouver pour laquelle elle a reçu une bourse du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Elle a récemment participé à deux résidences d'artiste au Banff Centre en Alberta et chez DAÏMÔN à Gatineau.
Commissaire
Caroline Andrieux