Chih-Chien Wang  /  The Act of Forgetting

Ce qu’il y a de plus intérieur.

Dernière exposition d’un cycle soutenu des deux années passées, The Act of Forgetting marque l’engagement de Chih-Chien Wang envers une émancipation des médiums, supports à sa quête incessante de capter, à travers l’art, l’intimité de l’être. Sa plus récente œuvre vidéographique du même titre, estici mise en scène par une double projection à l’intérieur de deux espaces mitoyens, semi clos, qui se font échos. Des photographies inédites, une scène dédiée aux performances ponctuelles du public, des objets aléatoirement déposés dans l’espace par les visiteurs, complètent l’installation et sont autant de dispositifs destinés à capter ce qu’il y a en nous de plus intérieur.

Invités à s’« exposer », seul ou en petit groupe, une dizaine de personnages tous artistes - acteurs, auteurs, musiciens, chanteurs, danseuses - livrent leurs confidences en parlant, performant, chantant, jouant, improvisant devant la caméra. La parole et le geste dévoilent l’intériorité des caractères, l’expressivité et le langage du corps montrent des personnalités construites par une imbrication de souvenirs et d’expériences, conscientes et inconscients, auxquelles s’ajoutent culture, origine et sensibilité diverses. Assumant d’emblée un contre-sens dans sa démarche, Wang annonce que « The Act of forgetting is an act of re-experiencing and an act of reminding ». L’artiste cherche ainsi à déjouer la mémoire et relever la contradiction dans le rôle de l’acteur qui interprète un autre personnage : « I am interested in the counter of force of it : to remember, to be remembered, to affirm. » Comment reconnaître la réalité du semblant de ces histoires très personnelles que nous racontent chacun d’entre eux ? Comment notre mémoire accorde plus d’importance à certains événements plus qu’à d’autres, en modifie notre perception et notre interprétation? La succession d’entrevues dirigées par l’artiste pointe le souvenir et l’oubli, tant de notre passé lointain qu’immédiat.

L’intimité, entre deux personnes ou de petit groupe, est explorée à travers un dialogue, une discussion, une chorégraphie, un jeu de regard. Les relations entre un père et un fils reviennent à plusieurs reprises, de même que celles entre deux personnages éloignés l’un de l’autre à priori. À travers un corps à corps improvisé, une discussion sur l’art, le jeu de musiciens, d’intimes relations se construisent entre les êtres, leur permettant de dialoguer sans recours à l’usage de la parole.

Parallèlement, les traces et les indices, que les visiteurs sont invités à « oublier » à même l’exposition, tendent à révéler une partie de soi. La scène au fond de l’espace sur laquelle il leurs est proposé de performer et à laisser l’empreinte de leur passage sur un revêtement sensible, ou encore les objets leur appartenant qu’ils peuvent troquer, servent à pointer l’indicible.

Le dispositif de prise de vue à caméras multiples permet plusieurs types de captations d’images : l’une intrusive tourne machinalement en boucle selon un long traveling ininterrompu et scrute chacun des personnages : une autre furtive et imprévisible capte des détails. L’équipe de tournage et les acteurs se mêlent en arrière plan, renforçant ici la tension entre le privé et le public. Les nombreux décalages qu’instaurent Wang, technique récurrente dans son travail, pointent à nouveau la subjectivité de l’interprétation dans chaque événement. Au doute émis entre la réalité et le semblant - par la réinterprétation de certaines scènes ou dans un exercice de mémorisation qui reste en suspend et libre à l’interprétation du public - se superpose la désynchronisation des deux projections, qui affichent de légères dissemblances, s’éloignant et se rejoignant à certains moments. Tout comme les quatre photos exposées ici qui fonctionnent en duo, jouant sur la temporalité des événements.

Se détachant des objets du quotidien, qui ont largement participé à la reconnaissance de son travail, Wang s’intéresse aux individus et à leur intimité, à ce dont la surface n’est que la limite, montrant comment chacun se constitue d’événements et de sensibilité, avoués ou cachés et dont il tente de souligner la fragilité, de révéler l’aura.

Caroline Andrieux

Chih-Chien Wang

Né à Taiwan, Chih-Chien Wang réside à Montréal depuis 2002 où il a complété une maîtrise en photographie à l'Université Concordia, après des études en cinéma et en théâtre à l'Université chinoise de Taipei, Taiwan. Son travail a récemment fait l’objet d’expositions individuelles, notamment au Centre Expression de St-Hyacinthe, en 2014; au Centre Space à Toronto et au Musée régional de Rimouski, en 2013; au Musée des beaux-arts de Montréal, en 2012; alors que Dazibao lui offrait sa première exposition individuelle en 2005. Il a participé à de nombreuses expositions collectives parmi lesquelles Out of Grace, à la Galerie Leonard et Bina Ellen à Montréal en 2010, initiée par Lynda Gaudreau; Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, Triennale québécoise au Musée d’art contemporain de Montréal en 2008; et Faking Death: Canadian Art Photography and the Canadian Imagination, à la Galerie Jack Shainman à New York, en 2006. Représenté par la Galerie Pierre-François Ouellette, ses œuvres font partie de collections d’institutions majeures au Canada et à l’étranger.