BUVEURS DE QUINTESSENCES

Le titre de cette exposition collective, Buveurs de Quintessences, est emprunté au poème de Charles Baudelaire, Perte d’auréole, dans lequel l’auteur relate l’expérience d’un artiste qui, ayant malencontreusement perdu son attribut distinctif, s’en accommode finalement fort bien. Il se retrouve ainsi libéré de la pression entourant son statut de créateur et peut se mêler de façon anonyme à la foule. Inspiré de ce poème, Walter Benjamin annoncera la perte d’aura de toute une génération d’artistes, qui cherche à se défaire des carcans associés à la création et à démystifier la pratique artistique. La personnalité de l’artiste, son savoir-faire, le sujet autant que l’objet, sont ainsi remis en question et les principes fondamentaux de l’art sont ébranlés. Avec Marcel Duchamp et Casimir Malevitch comme précurseurs, cette tendance artistique a constitué un paradigme de l’art dans les années 1960, période à laquelle les artistes se sont positionnés à l’encontre de l’expressivité exacerbée alors dominante, en cherchant à extraire de leurs œuvres le plus de contenu possible et en mettant en retrait leur égo. Des artistes tels que Agnes Martin, Yoko Ono, Robert Barry et Gordon Matta-Clark, ont ainsi été fascinés par l’infini, faisant fusionner dans leurs pratiques, à travers la notion de vide, autant un point de vue critique qu’une recherche d’absolu.

La présente exposition regroupe certains d’entre eux dont la démarche est orientée par une telle recherche d’expérience esthétique. En incluant des artistes québécois, canadiens et internationaux, afin de montrer que le phénomène est encore marquant à une vaste échelle, Buveurs de Quintessences jette un regard sur la création actuelle, se positionnant à contre-courant de « la société du spectacle » et de l’assimilation de l’art à de simples effets visuels. Minimales, en apparence vides de contenu, éphémères et furtives, laissant penser que l’artiste n’a pas assez « travaillé » ou qu’elles ne sont pas assez personnelles, ces œuvres questionnent leur propre statut et mettent l’emphase sur une recherche d’infini. Elles appellent à une réflexion au-delà du regard et forcent à reconsidérer la définition fondamentale de l’art.

En résonance à Ultra Vide, l’exposition inaugurale de la Fonderie Darling en 2002 qui redonnait un nouveau souffle à l’ancien site industriel tout en adressant un hommage à l’espace monumental de la grande salle, Buveurs de Quintessences explore le thème du vide en art sous un nouvel angle. Alors que la première exposition présentait une distribution dans l’espace des différents éléments de manière radicale – le feu, le bois, l’eau, l’air, la terre – la seconde cherche aujourd’hui à mettre en valeur la proposition dialectique des œuvres, en insistant sur leur contenu critique tout autant que spirituel.

Réalisées dans les dix dernières années, les œuvres de cette exposition appartiennent à des registres esthétiques très différents, bien qu’elles transmettent cette même quête de vide, tant ancrée dans la critique que dans une recherche d’absolu. Hymne à la méditation, Buveurs de Quintessences rassemble des propositions en quête de transcendance, dont la principale préoccupation est de mettre l’accent sur l’expérience directe du visiteur à l’œuvre, l’amenant à réfléchir sur l’essence même de l’art tout en l’invitant à se laisser emporter par une expérience au-delà du regard.

L’exposition sera présentée en janvier 2019 au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain. 

ARTISTES : Fortner Anderson (QC), Steve Bates (QC), Marie-Claire Blais (QC), Olivia Boudreau (QC), Claude Closky (FR), Marie Cool Fabio Balducci (FR / IT), Alexandre David (QC), Adriana Disman (QC), Kitty Kraus (DE), Stéphane La Rue (QC), Kelly Mark (ON), János Sugár (HUN).

 

PROGRAMME

ACTION

MARIE COOL FABIO BALDUCCI
Sans titre
Jeudi 15 mars 2018, 12 H - 22 H

PERFORMANCES

ADRIANA DISMAN
Thresholding
Jeudi 5 avril 2018, 18 H

KELLY MARK
Everything and Nothing
Jeudi 19 avril 2018, 17 H 30

FORTNER ANDERSON
Points of Departure
Jeudi 3 mai 2018, 12 H - 22 H

 

PERTE D'AURÉOLE
CHARLES BAUDELAIRE

« Eh! Quoi ! Vous ici, mon cher ? Vous, dans un mauvais lieu ! 
Vous, le buveur de quintessences ! Vous, le mangeur d’ambroisie ! 
En vérité, il y a là de quoi me surprendre.

- Mon cher, vous connaissez ma terreur des chevaux et des voitures. Tout à l’heure, comme je traversais le boulevard, en grande hâte, et que je sautillais dans la boue, à travers ce chaos mouvant où la mort arrive au galop de tous les côtés à la fois, mon auréole, dans un mouvement brusque, a glissé de ma tête dans la fange du macadam. Je n’ai pas eu le courage de la ramasser. J’ai jugé moins désagréable de perdre mes insignes que de me faire rompre les os. Et puis, me suis-je dit, à quelque chose malheur est bon. Je puis maintenant me promener incognito, faire des actions basses, et me livrer à la crapule, comme les simples mortels. Et me voici, tout semblable à vous, comme vous voyez !

- Vous devriez au moins faire afficher cette auréole, ou la faire réclamer par le commissaire.

- Ma foi ! Non. Je me trouve bien ici. Vous seul, vous m’avez reconnu. D’ailleurs la dignité m’ennuie. Ensuite je pense avec joie que quelque mauvais poète la ramassera et s’en coiffera impudemment. Faire un heureux, quelle jouissance! Et surtout un heureux qui me fera rire! Pensez à X, ou à Z! Hein! Comme ce sera drôle! »

Charles Baudelaire, Petits Poèmes en prose, XLVI, 1869

 

PARTENAIRES

 

L'exposition est réalisée en partenariat avec le Casino Luxemboug - Forum d'art contempoain