Laurianne Bixhain

Écrans anachroniques

L’image vraie du passé passe en un éclair. On ne peut retenir le passé que dans une image qui surgit et s’évanouit pour toujours à l’instant même où elle s’offre à la connaissance.
– Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire »

Cette exposition bilan de Laurianne Bixhain présente des photographies sélectionnées à partir de différentes séries, réalisées dans l’intervalle des trois dernières années. Ces images, captées à l’occasion de déambulations urbaines, lors de résidences et de séjours à l’étranger, suspendent notre regard entre deux temporalités : celle de l’histoire et celle du progrès. Forçant un questionnement sur l’obsolescence accélérée à l’ère technologique, poussant parfois dans ses photos l’anachronisme, l’artiste cherche à saisir le décalage entre l’humain, la technologie de pointe et les reliquats de la révolution industrielle.

Employant les techniques de l’argentique et du numérique, l’artiste confronte d’entrée de jeu ces deux générations de procédés photographiques, à cheval sur deux différents siècles. Elle souligne ainsi les correspondances entre l’aspect technologique et la production industrielle mécanique et informatique en vis-à-vis des pratiques artistiques qui elles aussi subissent les affres du temps.

Le passage entre ces deux temporalités se manifeste de façon systématique dans les images de Bixhain, par la présence d’écrans ou de surfaces réfléchissantes, qui filtrent ou reflètent la lumière. L’absorbant, ils engendrent un effet vaporeux aux contours imprécis de ses sujets; la renvoyant, elles provoquent la juxtaposition de surfaces lisses et texturées, accentuant l’écart entre deux différents états. La lumière, omniprésente dans les images, est éclatante sur les surfaces vitrées d’une fenêtre, sur la tôle chromée d’une carrosserie, sur les tubulures d’un échafaudage, sur les vêtements ignifugés d’un fondeur contemporain. Elle miroite sur la surface d’un lac ou celle d’une flaque d’eau en partie gelée. Elle s’infiltre à travers un pare-brise embué de reflets qui laisse transparaître les sièges design d’une voiture, une pellicule de plastique froissée recouvrant une pile de livres, un bouquet de fleurs ou une enseigne publicitaire captés à travers une vitrine, une scène du quotidien prise à partir d’un buisson de  graminées hors focus. Quand elle n’est pas présente matériellement, la lumière est suggérée par la technologie qui la simule artificiellement, tel le plan d’un écran LED, l’amoncellement d’ampoules diverses, le phare d’une voiture.

C’est aussi la matière finement perceptible qui transcende le support photographique et que l’artiste cherche à communiquer par des éléments d’architecture, tels les briques d’un immeuble industriel Arts and Crafts, la palissade de bois de grange, de décoration, comme les rideaux d’une salle d’exposition, autant d’éléments qui mettent l’emphase sur les contrastes entre différentes textures.

Tel l’Angelus Novus de Paul Klee, cet « Ange de l’histoire » que Walter Benjamin interprète comme figé entre un passé dont il ne veut se séparer et un futur qui l’aspire irrésistiblement, Bixhain nous plonge au coeur de cette tempête appelée le progrès. La photo de la tour la plus haute de Manchester prise à travers la fenêtre décrépie d’un ancien bâtiment industriel confronte par exemple ces deux temporalités, chacune correspondant, à leur époque, à la notion de progrès, alors que le logo patiné par le temps d’une marque de voiture de luxe, nous projette inversement dans un futur antérieur.

À Montréal, lors de sa résidence à la Fonderie Darling, l’artiste s’est trouvée au coeur d’un ancien quartier issu de la révolution industrielle aujourd’hui reconverti en nouveau hub de l’informatique. Le titre de la série montréalaise, On the other end, exprime ce dédoublement entre deux temporalités, alors que les écrans fonctionnent comme les métaphores de notre asservissement aux nouvelles technologies. Glanées à l’intérieur d’un périmètre restreint, ces images cherchent à révéler les traces d’un passé pris en otage par la modernité, alors que le tempo de la course au progrès ne cesse de s’accélérer.

Caroline Andrieux

 

Expositions récentes

2016

Serendipität, EMOP – Monat der Fotografie, Ambassade du Luxembourg, Berlin
Cercle 5, Cercle Cité, Luxembourg & Centre National de l'Audiovisuel (CNA), Dudelange

2015

Meisterschüler Ausstellung, Galerie der Hochschule für Grafik und Buchkunst, Leipzig
Illumination is the new interior sensation, EMOP – Mois Européen de la Photographie, Kiosk/Aica, Luxembourg

2014

Artmix 8, KuBa, Saarbrücken & Annexes, Bourglinster
Mood Board - Ambigu sous Terre, Torna, Istanbul
Bathing by electric light, Centre d'Art Nei Liicht, Dudelange

2013

Keep your feelings in memory, Agence Borderline, Musée National de la Résistance, Esch-sur-Alzette
Prints made in Leipzig, Academy of Visual Arts, Leipzig & Hungarian University of Fine Arts, Budapest
You I Landscape - Triennale jeune création, Centre National de l'Audiovisuel (CNA), Dudelange & Carré Rotondes
Iakary, Exposition des diplomés de l'École d'Enseignement Supérieur d'Art de Bordeaux, Institut Culturel Bernard Magrez, Bordeaux