Ayọ̀ Akínwándé  /  The People's Parliament

Présenté à Lagos, Power Show I, s'inscrit comme le début d’un vaste projet d’expositions autour de la question du pouvoir, sous sa forme politique et sociale. Dans un premier temps, Akínwándé a abordé cet enjeu en critiquant le contrôle gouvernemental des ressources énergétiques pétrolières et électriques, au détriment de la population nigériane. À l’occasion de l’itération suivante, Power Show II : The God-Fathers Are Not to Blame, également en exposition au Nigéria, l’artiste s’est intéressé à la relation brisée entre les citoyens nigérians et leur gouvernement, en s’appuyant sur les voix de la population, enregistrées à la fois dans l’espace public de la rue et via les micro-messages publiés sur les réseaux sociaux. Invité en résidence à réaliser un projet en réponse au contexte spécifique de la Place Publique de la Fonderie Darling, Akínwándé présente les prémisses de la prochaine itération de ce projet, Powershow III: The God-Fathers Must Be Crazy. 

Sur la rue Ottawa, Akínwándé met de l’avant la manière dont les opinions des citoyens s’élèvent dans le quotidien nigérian et sur la plateforme mondiale du web. Les recherches d’Akínwándé se révèlent sur la Place Publique en deux temps, d’abord par l’installation sculpturale et sonore semi-permanente The People’s Parliament et ensuite par la performance-orchestre Mumu LP Vol 2: The Orchestra. En retravaillant la forme de l’abribus montréalais, l’artiste détourne l’usage de ce point d’arrêt et d’attente pour en faire une zone d’écoute et de transposition de contextes. La cabine propose aux passants de la rue Ottawa une incursion dans deux univers mis en parallèle : une ville de plus de 20 millions d’habitants comme Lagos, où l’artiste réside à ce jour, et un espace tout aussi mouvementé, celui des réseaux sociaux. 

Le terme parrain (godfather) est utilisé de façon répétée par Akínwándé dans les titres de ses expositions en référence à une oligarchie politique constituée d’hommes puissants et corrompus à la tête de l’État nigérian. Le Nigéria est l’un des nombreux pays d’Afrique ayant vu la naissance d’un nouveau modèle démocratique dans les années 1990, mais qui observe aujourd’hui une réalité toutefois bien ambivalente où la plupart des libertés et des opportunités demeurent accessibles seulement à une élite politique déterminée par la richesse et les alliances internationales des individus qui la composent. The People’s Parliament expose des coupures de journaux, des bribes de conversations survoltées et des captures d’écran, témoignages de commentaires politiques, souvent ironiques, indignés, absurdes ou plaintifs. Sur l’île de Lagos et ses alentours, presque tous les arrêts d’autobus sont situés près d’un kiosque à journaux, une table recouverte d’un parasol et d’un plastique protecteur où les nouvelles du jour sont exposées. Dans une ville au trafic monstre comme Lagos, les horaires et les temps d’attentes sont imprévisibles ; les arrêts d’autobus sont ainsi de véritables lieux de rencontres et de débats où les citoyens s’expriment avec ferveur ou avec indignation sur l’actualité. L’œuvre nous laisse l’imaginer : à l’arrêt d’autobus, chacun parle avec autorité, en gesticulant et haussant la voix pour faire entendre sa prise de position. Parler devant des auditeurs qui tour à tour acquiescent ou s’opposent est un jeu de pouvoir et de crédibilité, une prise de position publique. L’arrêt d’autobus, comme les réseaux sociaux, devient alors un véritable incubateur de conversations.

À entendre les voix et à lire les tweets qui répondent à l’actualité nigériane, on se rappelle que sur Twitter, Facebook et Instagram se sont formulées les frustrations et les exigences de millions d’individus. Cette effervescence semble sans fin, à la manière d’une chaîne de télévision d’information en continu. Pour Akínwándé, lorsque les gens protestent ou se plaignent et que rien ne se passe, les voix entendues finissent par prendre un rythme, comme une chanson passée en boucle dans les médias ou à l’arrêt d’autobus. Mumu LP vol I matérialise cette idée sous la forme d’un album de musique, où chaque piste est composée d’un fragment des voix enregistrées. Dans le pidgin anglais utilisé au Nigéria, le terme « mumu » réfère à un individu avec une attitude idiote, naïve ou irréfléchie. Pour concrétiser son projet sur la Place Publique, Akínwándé dirige Mumu LP Vol 2 :The Orchestra, une performance-orchestre dans laquelle ces archives vocales, cette absurdité constante du monde politique contemporain, sont transformées en musique. Le jeudi 8 août prochain, l’œuvre sera jouée en collaboration avec des musiciens montréalais.

Depuis plus de dix ans, la Place Publique rassemble les gens à l’extérieur des murs, dans un lieu où des liens sociaux se tissent autour de l’art et de l’engagement citoyen. Sur la rue Ottawa, les œuvres d’Akínwándé offrent une mise en abyme des discours engagés qui animent l’espace public. En réactivant des conversations enregistrées à Lagos et des captures d’écrans spécifiques à la situation de cette mégacité, Akínwándé invite les passants, les travailleurs et les résidents du quartier à imaginer les innombrables voix qui se font entendre dans l’espace de la rue et dans celui du web, ainsi que leur omniprésence à l’échelle planétaire. Dans le contexte d’une programmation axée sur l’interaction avec le public, Akínwándé fait coexister une pluralité de voix qui se mêlent alors aux nôtres.

Milly-Alexandra Dery

                                                                                                                                                             

Ayọ̀ Akínwándé

Ayọ̀ Akínwándé vit et travaille au Lagos. Il a notamment co-commissarié la Biennale de Lagos 2017, et participé à l’exposition organisée par le Nigerian Railway Museum en parallèle. Il a également été sélectionné pour participer à la seconde Changjiang International Photography and Video Biennial, et il a fait partie de l’exposition ChinAfrika – under construction au Musée d’art contemporain de Leipzig.

Il a contribué à l’ouvrage ASIKO : On the Future of Artistic and Curatorial Pedagogies in Africa édité par le Center for Contemporary Art Lagos. Son travail et ses écrits ont été publiés dans Art Africa, Dienacht Magazine, PoetsArtists, Contemporary&, The Sole Adventurer, Somethingweafricansgot et d’autres revues et publications à travers le monde.

 En 2018, Akínwándé a été finaliste du ArtX Prize, et finaliste au Top10 de l’ASBA L’Atelier Art competition, son travail faisant partie de l’exposition de l’ABSA Gallery. Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles et collectives sur le continent africain et à l’international.