L’exposition Revelation est une invitation à découvrir la pratique aux multiples médiums qui sous-tend l’univers mystique de Marlon Kroll. Constituée de sculptures, de dessins, de céramiques et d’objets rapportés, ce à quoi s’ajoute une forte composante ésotérique par la recherche d’une connexion avec l’au-delà, cette proposition se construit sur l’expérience du passage d’une dimension à l’autre.
Entrer dans l’atelier de Marlon Kroll, c’est s’introduire dans un monde qui paraît chaotique de prime abord alors que tout est totalement contrôlé par l’artiste. Objets trouvés et accessoires [1], projets en cours ou interrompus, feuilles de croquis et rebuts jonchent le sol, s’accumulent, tapissent les murs. La table de travail, engoncée dans un coin à l’arrière de la porte d’entrée, est aussi encombrée que l’espace. Sur celle-ci s’amoncèlent des piles de crayons aux couleurs éclatantes et leurs copeaux de bois éparpillés de part et d’autre. C’est avec ceux de la marque Faber Castell que Marlon Kroll réalise ses dessins sur toile [2].
Des formes elliptiques et géométriques sont d’abord esquissées rapidement à la mine, pour donner le rythme de la composition, créer une dynamique. Elles réfèrent autant aux organes du corps qu’à des éléments architecturaux et évoquent le passage, la transition et la frontière, qui sont des concepts clés de l’exposition. À la manière d’entonnoir, ces formes guident le regard, canalisent l’énergie. Ici dans My own personal mountain, une spirale peut autant évoquer une séquence d’ADN qu’un escalier en colimaçon, ou comme dans A type of infinity le profil d’une trompette peut se confondre avec celui d’un larynx. Ces formes délimitent de grands aplats de couleur sur lesquels sont dispersés, sur un autre plan, une multitude de points colorés. L’artiste les associe à des vortex, à des points d’entrée vers une dimension spirituelle, ou encore à des oiseaux voyageurs portant des messages à des êtres chers. Faisant l’objet d’un choix scrupuleux, chaque couleur se fait parfois attendre mais un jour se révèle à l’artiste, couleur dont il perce le mystère: « Find the clue of the color [3], » dira-t-il. Telles des notes de musique composant une rhapsodie chromatique, elles font vibrer notre regard et provoquent des émotions abstraites qui réfèrent à des expériences difficiles à expliquer avec des mots, tout autant qu’il n’est pas aisé de définir[4] une couleur.
La technique de réalisation de ces œuvres implique une méticuleuse préparation de la toile : le très fin tissu de mousseline tendu sur bois est enduit de gesso puis minutieusement sablé afin d’obtenir un rendu hyper-lisse, aussi poreux que l’épiderme. S’opère alors une rencontre sensible, une réaction quasi alchimique, entre le médium et son support. « Gesso like skin and color like tattoo,» évoque Kroll. Au fur et à mesure des passages du crayon sur la toile apprêtée, tel un processus de tatouage, la surface se voile d’une pellicule cireuse [5]. Incidemment, l’étymologie du mot « couleur », du mot latin color, réfère à ce qui habille, ce qui recouvre. En grec, le mot khrôma vient de khrôs, qui désigne la peau. L’attention particulière accordée à la surface de l’œuvre et la forme ambiguë entre instrument de musique et organe vocal reviennent également dans la sculpture Big Blue Empty. Recouverte de feuilles de papier plaquées sur le support de bois telle une écorce, sa forme évoque un haut-parleur ou une flûte, alors que sa fonction est toujours de nous porter vers une autre dimension, celle de Marlon Kroll.
L’intensité des couleurs, les lignes aux formes engageantes, le passage d’une dimension à l’autre dans le choix des médiums, les vibrations d’un univers musical sont les vecteurs d’une énergie qui tend à élever l’esprit et invite au voyage vers une autre dimension [6]. Marlon Kroll compare cette énergie à celle de l’Orgone [7], un terme inventé par un psychanalyste au XIXème siècle signifiant la force divine de la création, inspirée de l’ancestrale philosophie orientale du taoïsme, essence fondamentale de l’univers. Dans Revelation, le souffle de la création se mêle au souffle de la vie, et les œuvres, se substituant à des médiums spirituels et émotionnels, aspirent à se transformer en accumulateurs et transmetteurs d’une énergie cosmique.
Caroline Andrieux, Juin 2023
VIDÉO INTRODUCTIVE
[1] « Nouvelles prothèses et appendices de fortune (Objets trouvés » et « Accessoires/Actors (pour un théâtre de l’abjection) » les décrivent Marlon Kroll, Mark Lanctôt et François Letourneux dans La machine qui enseignait des airs aux oiseaux, catalogue d’une exposition de groupe tenue au Musée d’art contemporain de Montréal en 2020.
[2] « Supports pour un dessin (Mousseline, t-shirts et draps de lit)». Ibid.
[3] Lors d’une rencontre à son atelier en mai 2023.
[4] « Si l’on nous demande que signifie les mots rouge, jaune, bleu, vert ? Nous pouvons bien entendu montrer immédiatement des choses qui ont de telles couleurs, mais notre capacité à expliquer la signification de ces mots ne va pas plus loin.» Ludwig Wittgenstein. (Bemerkungen über die Farben, 1, 68). Voir les livres sur les couleurs Bleue, Rouge, Noir, Jaune de Michel Pastoureau.
[5] « Une peau imperméabilisante (huile, cire d’abeille, Vaseline) » la décrit Marlon Kroll, Mark Lanctôt et François Letourneux dans La machine qui enseignait des airs aux oiseaux, catalogue d’une exposition de groupe tenue au Musée d’art contemporain de Montréal en 2020.
[6] « These days I think my work is about the mediumship of objects and how form and line can focus and collect energy, like sympathetic magic ». Marlon Kroll, texte accompagnant l’exposition Fireflies, Parc Offsite, mai 2023.
[7] Wilhelm Reich a mis au point un appareil à revêtement métallique appelé «accumulateur d'Orgone», persuadé que la boîte emprisonnait l'énergie d'Orgone qu'il pouvait exploiter dans des approches révolutionnaires de la psychiatrie, de la médecine, des sciences sociales, de la biologie et de la recherche sur les conditions météorologiques.
REMERCIEMENTS
L'artiste tient à remercier Nadia Kroll, Guenter Schulz, Jeba Bowers Murphy, Gummy, ses chers amis, Dexter Barker Glenn, Jacob Lepp, Catherine Desroches, Kara Skyling, l'incomparable Fred Chabot qui a rendu possible tous ses projets au cours des deux dernières années, le Conseil des Arts du Canada, Morgane Lecocq-Lemieux, Milly Alexandra Dery, Alexandre Piral, Edward Maloney, Ally Rosilio, Clara Déry, et bien sûr Caroline andreuix, pour avoir cru en moi et m'avoir donné ma chance.
Marlon Kroll
Marlon Kroll est un artiste canadien et allemand qui vit et travaille à Montréal. Kroll détient un baccalauréat en Beaux-Arts (concentration Ceramics) de l’Université Concordia. Il a bénéficié d’une résidence de création au Vermont Studio Center en 2017. En 2020, Marlon Kroll a reçu le William and Meredith Saunderson Prizes for Emerging Artists de la Hnatyshyn Foundation.