Commissaire: Alice Jim
Dans un coin d’un centre-ville en cours de modernisation et de gentrification, aux prises avec le conflit des échelles économiques du vivre-ensemble, le studio d’un érudit chinois et une résidence-appartement offrent un moyen pour s’isoler volontairement. Les projections vidéo Between Past and Present: Lived Moments in Beijing, 2012 et Room: An Extension, 2008, sont lancées à la dérive sur deux pavillons insulaires reliés par des sentiers de jardin dégagés qui sont en partie imaginaires et en partie évoqués par de minutieux aménagements paysagers et une armature à cadre ajouré. Le travail récent de Yam Lau explore l’utilisation des enregistrements vidéo en temps réel et des logiciels de conception assistée par ordinateur pour présenter des espaces familiers selon des dimensions et perspectives variées.
Les images de Room: An Extension proviennent de la chambre à coucher de l’artiste à Toronto, recomposée dans l’espace virtuel selon le schéma architectural permettant des vues rotatives du quotidien domestique à partir d’angles multiples. Between Past and Present commence comme une maquette du studio d’un érudit flottant sur l’eau dans un éclairage nocturne. Un panoramique circulaire avec zoom est calculé pour entremêler sans hiatus le treillis animé et des scènes de l’atelier sommairement équipé accessible des deux côtés par des portes lunaires, traditionnellement considérées comme des portails vers un autre monde. Cependant, les multiples écrans du sanctuaire se fondent lentement dans des scènes contemporaines d’une rue bondée de Pékin à midi. Vues et sons de la vie urbaine se déploient et se replient en superposition jusqu’au soir, quand on revient tranquillement au studio. Dans les deux vidéos, la présence de l’artiste au travail est captée, subtilement certes, mais avec insistance.
Durant le long dix-septième siècle chinois, la notion de réclusion, de retrait du monde par un choix délibéré afin de fournir des modèles aux autres, a été idéalisée et imaginée plus qu’elle n’a été réalisée en pratique. Un peu comme dans notre monde moderne, les exigences quotidiennes de la vie, du travail et des relations humaines et un monde en plein changement dynamique rendaient même les aspirations à un idéal de retraite difficiles à imaginer. C’est donc la dimension ineffable du studio en tant que monde ou domaine qui fournissait le lieu idéal pour justement entrer dans un dialogue de désengagement. Cependant, le studio, jadis conçu comme la sphère exclusive de quelques privilégiés, a changé de figure à l’époque moderne, prenant celle d’une gamme variée de lieux, d’activités et de pratiques.
D’une certaine manière, les espaces privés-rendus-publics présentés par Lau dans cette exposition sont faits pour être partagés entre différents intervenants. Les studios en tant que résidences, en tant que retraites érudites, le foyer en tant qu’atelier et en tant qu’étude, une politique spatiale du bricolage et la ville elle-même en tant que studio avec le monde comme backlot, sont posés comme des plateformes interreliées d’activité intellectuelle et créatrice. Aussi est-il permis de considérer A World is a Model of the World comme une invitation stratégique à imaginer une autre vision du monde – une retraite estivale qui n’est ni une évasion, ni une excuse pour se mettre à l’abri de vastes changements politiques et sociaux, mais un acte de non-conformisme et de reconnaissance de notre être-au-monde.
Alice Ming Wai Jim
Alice Ming Wai Jim est une historienne de l’art une commissaire indépendante basée à Montréal. Elle est actuellement professeur associé d’art contemporain au département d’histoire de l’art de l’Université Concordia.
Yam Lau
Yam Lau est né à Hong Kong. Ayant obtenu une maîtrise en beaux-arts de l’Université de l’Alberta, il est maintenant basé à Toronto, où il est professeur associé de peinture à l’Université York. Lau publie régulièrement des textes sur l’art et le design et son travail a été beaucoup exposé au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Chine. Il est un cofondateur du projet artistique ancré dans la communauté « Donkey Institute of Contemporary Art » à Pékin en Chine. Son travail est représenté par la Katzman Kamen Gallery au Canada et le Yuanfen New Media Art Space à Pékin.
Commissaire
Alice Jim