Julien Creuzet
Avec la vidéo mon corps carcasse / se casse, casse, casse (…), Creuzet nous transporte dans une bananeraie virtuelle contaminée par le chlordécone, un pesticide écotoxique qui empoisonne toujours la Martinique et la Guadeloupe près de 30 ans après son interdiction. Suspendue dans un paysage tropical et bercée par une ambiance sonore angoissante, une molécule de chlordécone tournoie lentement sur elle-même, projetant sur la plage son ombre menaçante. Puis, tout éclate. Sur l’écran se déploie soudainement un univers cauchemardesque où des pluies de médicaments valsent avec des régimes de bananes calcifiées. Les images, dorénavant rythmées par une musique électronique, sont jumelées à des fragments poétiques, auxquels réfère le titre de la sculpture my sedative language / makes my attitude passive / discret bruise / suddenly explodes (…). Juxtaposé à la vidéo, l’assemblage présente une accumulation de matériaux collectés, achetés ou fabriqués par l’artiste au fil du temps et de rencontres, en faisant un corps-archive. À travers ces œuvres, Creuzet aborde l’injustice environnementale mise en place par le colonialisme et les enjeux sociaux qui en découlent. Car le désastre écologique qui afflige la Martinique et la Guadeloupe en est aussi un humain, alors que 92 % et 95 % de leur population respective seraient contaminés par le chlordécone, selon une étude menée en 2013 par Santé publique France. Au moment où plusieurs régions du Sud sont affectées par le régime de la Plantationocène – nom donné à la réaffectation dévastatrice des territoires en plantations mercantiles fondées sur le colonialisme, l’esclavage et l’exploitation – et grâce auquel l’Occident obtient ses fruits exotiques et plusieurs autres bénéfices, Creuzet souligne le pouvoir qui module nos rapports avec la nature.
Biographie
Julien Creuzet (né à Le Blanc-Mesnil, France ; vit à Montreuil, France) explore les expériences diasporiques en s’intéressant aux héritages culturels, y compris le sien. À travers des œuvres immersives qui entrelacent sculpture, vidéo, poésie et musique, il met en relief les liens qui existent entre les imaginaires, les réalités sociales et les récits oubliés. L’artiste puise son inspiration des poètes martiniquais Aimé Césaire et Édouard Glissant et de leurs réflexions sur la créolisation, la migration et la figure de l’archipel – autant d’espaces poétiques et théoriques où parviennent à être préservées, dans un esprit pourtant globalisant, la diversité et la différence.