Le travail de Wyn Geleynse occupe une place à part dans la production contemporaine. En effet, on rencontre peu de travaux sachant autant exploiter images filmiques et vidéographiques dans un cadre installatif sollicitant en plus à l'occasion des images photographiques. Ses mises en scène d'images sont ainsi construites qu'elles en réfèrent constamment au travail d'une mémoire dont on apprécie l'effet et mesure les tenants sans toutefois en saisir totalement le contenu. En ces constructions sophistiquées où la projection d'une image de taille souvent réduite occupe le centre de l'installation ou le cœur d'une image fixe, il y a de la sollicitation mnésique sans que l'on sache de quoi est exactement constitué ce souvenir.
Il faut aussi en évoquer du caractère machinique de ces mises en situations. Wyn Geleynse a su, dès le début de sa carrière, s'en remettre à des mécaniques de vision qui évoquait les premiers appareil inventés au cours du début du XIXe siècle. Ses installations d'aujourd'hui présentent elles aussi un caractère mécaniciste. Les écrans sont souvent visibles et le projecteur, évident, participe de toute sa présence visible et audible à l'effet de contemplation. Il en va un peu de ces machines comme si elles cherchaient très ouvertement à reproduire l'effet d'engourdissement moteur vécu par le spectateur dans une salle de cinéma. Les courtes histoires qui en résultent apparaissent de minces et imprécise histoires, ayant une portée fictionnelle dont le contrecoup se révèle étrangement efficace compte tenu de notre ignorance des tenants et aboutissants de son développement narratif.
Wyn Geleynse, pour ce retour à Montréal où il n'a pas exposé depuis un certain temps, nous gâte avec la présentation d'un œuvre inédite et inattendue, en regard de sa production passée. Gordijn est une pièce qui montre une facette nouvelle du travail de l'artiste. Pour une rare fois, Wyn Geleynse délaisse l'écrin installatif et investit totalement l'écran. Cette projection de quelque 7 minutes et demie occupe en effet un écran à elle seule, érigée pour l'occasion dans la salle principale de la Fonderie Darling. Dans cette œuvre vidéographique grand format, c'est l'expectative d'une présence humaine et des rebondissements d'actions déterminées par une visée identifiée qui est sans cesse mise en déroute. L'entrée en scène d'une histoire ne cesse d'être différée et détournée par la seule présence des images et des contextes dont elle devrait pourtant émergée. L'unité des actions, des lieux et des personnages, lignes directrices obligées de toute production filmique, est ici déjouée au profit de séquences, plans et scènes qui déjouent toute cohérence narrative. Il en découle une histoire qui présente tous les aspects d'un déroulement cinématographique mais plus dans sa matière détraquée plutôt que dans sa logique narrative. La matière des images et de leur enchaînement séquentiel, la construction en plans de différentes portées, angles et grandeurs, la résorption des images les unes dans les autres, fondu au blanc, au noir, enchaîné : tous les outils et les mécanismes de la construction cinématographique sont mis à profit pour créer une œuvre-cinéma inattendue dont le titre, Gordijn, évoque, en néerlandais, le rideau tiré devant nos yeux. Étrangement, la matière cinéma joue ici de tous ces artifices pour créer en nous un état émotif qui s'active vaguement, dans les tréfonds de notre réception sensible, sans qu'une histoire définie nous soit donnée en pâture.
Sylvain Campeau
Wyn Geleynse
Wyn Geleynse est reconnnu au sein de la communauté internationale artistique pour ses installations vidéo. Il a notamment exposé au Museum London en Ontario, au Centre Culturel Canadien à Paris, au MK Expositieruimte à Rotterdam, ainsi qu'à l'Université Princeton au New Jersey.
Commissaire
Sylvain Campeau