Lani Maestro  /  L'oubli de l'air

en collaboration avec Malcolm Goldstein 
 
 

Lani Maestro a eu la gentillesse de me faire partager ce qui se mettait petit à petit en place dans son esprit en vue de l’œuvre qu’elle prépare pour la Fonderie Darling. Elle m’a dit que le titre, L’oubli de l’air, lui avait été inspiré par un ouvrage de Luce Irigaray. Elle m’a parlé de sable. Du sable noir, là, sur le sol. Elle m’a parlé d’eau. De petites cavités creusées à même le sable et remplies d’un peu d’eau. Elle m’a dit que le ciel qu'on voit depuis les fenêtres perchées là-haut au sommet des immenses murs de la Fonderie allait s’y réfléchir. Elle m’a parlé d’un jardin, tout en m’apprenant que l’eau allait avoir tendance à s’évaporer; il faudra veiller à ce qu’il y en ait toujours un peu dans les creusures de sable : arroser le jardin en quelque sorte. Elle m’a parlé de sa rencontre avec Malcolm Goldstein, de la poésie de sa musique, de sa participation au projet sans qu’elle en sache plus elle-même. L’œuvre allait être l’occasion – mais sous quelle forme? – d’une rencontre entre la poésie visuelle de Lani Maestro et la poésie sonore de Malcolm Goldstein. Est-ce là la raison d’être de l’oubli de l’air? Pas seulement, bien sûr.

Le deux a son importance dans l’œuvre de Maestro. Maestro et Goldstein. Le visible et l’audible. Le ciel, là, dehors, et le ciel, là, dans l’eau. Ici dedans et là dehors. L’eau dans le sable et l’eau dans l’air. L’air silencieux et l’air de la musique. Le sable, là, maintenant, dans l’espace d’exposition, et le sable, là, avant, quand on y moulait le métal selon la technique au sable. Oui, ici on moulait le métal. Mouler. Coquille. Creux. Feu. Chaleur. Bruit. Des souvenirs, juste des souvenirs. Des morts aussi. De la souffrance. Du travail pénible. Aujourd’hui, on y a substitué l’art. La Fonderie Darling, c’est aussi ça. Des fantômes. Quelque chose dans l’air qu’on ne peut pas oublier, quand on entre dans cet espace. Refouler, dénier, rejeter, oui, mais pas oublier. Une sorte de tyrannie involontaire du lieu. Une matière imposée en quelque sorte. Une matière à laquelle Lani Maestro ajointera sa liberté. Celle qui l’a faite artiste.

Lani Maestro sculpte. Elle sculpte ces matières précisément – les involontairement tyranniques –, celles qui véhiculent malgré elles la coercition, l’oppression, la répression, la domination, l’hégémonie, le totalitarisme. Et comment s’y prend-elle? Pas en leur opposant la liberté d’un faire. Non. En allant plutôt au-devant, si je puis dire. Elle, à même cette matière, la creuser, s’y lover, et ce faisant y faire brèche. Elle, avec tout ce qu’il y a d’inaliénable chez elle, c’est-à-dire avec ce qui fait d’elle l’être qu’elle est, à ne pas avoir disparu derrière, dessous, dans, aux confins des tyrannies, qui ont tout de même marqué son âme.

Ainsi, souvent, très souvent, vous le remarquez désormais, Lani Maestro construira des lieux dans des lieux. Et entre eux, des rapports, des liens, des contacts. S’échafaude ainsi une ligne, une ligne de silence dira-t-elle, parce que ce n’est pas du langage qui l’échafaude, mais seulement de l’évidence. L’évidence du non-sens de l’Unique. Non-sens de l’idée unique, de la pensée unique, de la forme unique, de la matière unique.

Son œuvre, regardons-la comme on voit l’horizon, où, à l’infini, on voit le ciel et la mer se toucher même si l’on sait que ce n’est pas possible. Regardons-la comme cet horizon où la tyrannie et l’artiste se touchent sans se confondre, se rapportent l’un à l’autre sans se correspondre, tout en s’ajointant, illusoirement cependant, pour les besoins de la cause pourrait-on dire. Ça se passe là-bas, loin, très loin, si loin de nous. À l’infini même : affaire d’art, dira-t-on, à propos d’une lutte infinie contre l’hégémonie du Un. Mais ça se passe pour nous. Je suis toi, dit-elle. Ainsi, la poésie. La poésie de Lani Maestro pour nous.

Texte: Jean-Émile Verdier

 

Lani Maestro

Lani Maestro est née en 1957 aux Philippines. Elle arrive au Canada en 1983 et poursuit une maîtrise en arts visuels au Nova Scotia College of Art and Design.