Joshua Schwebel  /  A DREAM IN WHICH I AM YOU
« La mémoire, pour lui, était un matériau vivant, non un ‘devoir’, et encore moins un objet pétrifié, fétichisé. »1
 
Dans la petite galerie de la Fonderie Darling, Joshua Schwebel propose une exposition conçue à partir d’une résidence de recherche qu’il a effectuée en 2015 à la Fondation du dramaturge polonais Tadeusz Kantor à Cracovie. Par le biais d’installations et d’un roman d’artiste, Schwebel intègre des références aux préoccupations conceptuelles et thématiques de Kantor pour interroger les enjeux de la transmission de la mémoire, des croisements narratifs, du déplacement, de la dislocation, de l’absence, de l’expérience et de la subjectivité.
 
Peintre, dramaturge, scénographe, metteur en scène et auteur polonais inclassable, Tadeusz Kantor (1915-1990) est l’une des figures majeures du théâtre au 20siècle. Pendant son séjour dans la maison de campagne de Kantor, Schwebel a effectué une série de gestes dissimulés et d’actions destinées à un public limité en s'inspirant du concept d’emballage, une forme artistique développée par Kantor afin de conserver, isoler et préserver la mémoire d’un traumatisme continu. L'artiste a ainsi caché un arrangement de fleurs séchées dans le grenier, un échantillon de poussière extrait du plancher de bois dans la chambre à coucher, des feuilles d’or à l’intérieur de la poche d’un pantalon de Kantor suspendu dans une penderie, etc. L’exposition à la Fonderie Darling restitue ce passage dans l’intimité de Kantor à travers une constellation de gestes symboliques qui font écho à la pratique du dramaturge, mais aussi au vocabulaire esthétique de l’artiste Benny Nemerofsky Ramsay qui devait à l'origine accompagner Schwebel à la résidence en Pologne en tant que collaborateur. Lorsque Nemerofsky s’est de lui-même désisté de la résidence, Schwebel s’est approprié son absence pour en faire un emballage qui exprime et contient l'absence de Kantor. Kantor devient ainsi une figure emblématique de notions liées à la transmission de la mémoire : l’idée de l’héritage de Kantor implique une perte et ce qui remplace ou véhicule cette perte constitue le véritable sujet du projet de Schwebel.
 
L'artiste aménage la galerie comme un espace scénique dédié à la présentation des traces de ses interventions et de son expérience personnelle, tout en établissant un jeu subtil de relations entre les objets qui renvoient à son histoire personnelle en Pologne et ceux qui évoquent la mémoire collective de Kantor. Loin d’un transfert littéral, l'artiste reconstitue de mémoire des fragments de la maison, crée des constructions éphémères en papier mâché, regroupe des photographies, des livres, des documents, ainsi qu’un échange épistolaire avec Nemerofsky. Ces objets s’entrelacent à des fils narratifs qui font partie d’un processus ancré dans l’expérience de Schwebel dans la maison de Kantor et à Cracrovie. À l’image de Kantor, Schwebel pratique un art informel, non figé, en constante recherche, dépourvu de hiérarchie entre les médiums et les objets, relevant d’une esthétique arte povera.
 
Esther Bourdages


Scarpetta, Guy, Kantor au présent, Arles, Actes Sud, 2000, p. 11.

 

Joshua Schwebel

Joshua Schwebel est un artiste conceptuel canadien actuellement basé à Berlin. Il détient une maîtrise en Beaux-Arts de l’Université NASCAD (2008) et un baccalauréat en arts interdisciplinaires de l’Université Concordia (2006). Son travail a été présenté lors d’expositions individuelles, dont les plus récentes sont From the Aesthetic of Administration au Centrum Project Space (Berlin, 2017) ; Linings à la Fondation Tadeusz Kantor (Cracovie, 2016) et Subsidy à la Künstlerhaus Bethanien (Berlin, 2015). Schwebel a participé à de nombreuses expositions de groupe au Canada et à l’international. En 2017, Schwebel a été récipiendaire de la bourse du programme international de recherche curatoriale Art By Translation, dirigé par Maud Jacquin et Sébastien Pluot, ce qui l’a mené à collaborer à l’exposition The House of Dust d’Alison Knowles présentée à la Fonderie Darling (Montréal, 2017), au CNEAI (Pantin, 2017) et à la James Gallery (New York, 2016). En 2015, il a été résident du Studio du Québec à la Künstlerhaus Bethanien, en plus d’être deux fois lauréat des Résidences Croisées France/Québec de la Fonderie Darling, à Paris (2011) et à Marseille (2014).