Sarah Stevenson
Avant la tempête
I. Entre deux endroits
Un souvenir de ma petite enfance: je suis allongée sur mon lit, sur le point de m’endormir. Je deviens consciente du fait que je n’ai aucun contrôle sur mon corps; il est une chose énorme, lourde et inerte. C’est aussi un récipient vide. Je suis quelque chose de minuscule et de négligeable, contenu en lui. Je ne me souviens pas d’avoir eu peur. Peut-être était-il réconfortant de me trouver à l’abri d’un si solide refuge.
II. Occuper l’espace
Un objet advient d’abord comme une visualisation mentale, puis comme une silhouette faite de lignes sur le papier. Les lignes dessinées sont remplacées par du fil à coudre et du fil de fer. Des matériaux fragiles, peu solides signifient qu’une pièce est toujours sur le point de ne plus pouvoir tenir ensemble, comme de l’eau. Comme elle est suspendue au plafond, la gravité cherche à la tirer jusqu’au plancher et ce faisant, elle ouvre la structure et la transforme en une forme tridimensionnelle vide. L’objet a besoin de cette tension afin de devenir lui-même.
L’étape suivante pourrait être de remplir l’intérieur de cette structure semblable à une cage et de la rendre solide. Mais il n’en est à vrai dire nul besoin, puisqu’elle est déjà pleine de quelque chose: rien du tout.
III. Signes avant-coureurs
Le ciel, qui était d’un bleu limpide il y a seulement quelques minutes, a maintenant pris la couleur d’une banane trop mûre. L’air est devenu épais et collant. Il est si lourd qu’il est comme une chose tangible, pesant sur la terre. Il n’y a aucun son, si ce n’est le bruissement et le grincement des branches d’arbres au-dessus de ma tête, fouettées par une soudaine rafale de vent. Puis émerge à l’horizon une lueur vacillante, suivie quelques instants plus tard par le grondement menaçant du tonnerre.
IV. Une forêt invisible
La mémoire, la sensation et l’atmosphère informent de tout ce que je fais. Je veux suggérer des formes familières; des parties du corps, des organes internes, des spécimens botaniques ou des microorganismes, mais à d’autres échelles et sans contexte ni substance.
Un groupe d’énormes objets semblera flotter juste au-dessus du plancher, le touchant presque, mais pas tout-à-fait. Les gens qui se déplacent parmi eux devront trouver une position par rapport à chaque objet afin de pouvoir le percevoir.
V. Un remède à l’insomnie
Imaginez-vous dans un paysage obscur. Pas de lune, pas d’étoiles. Seulement une lumière ambiante émanant de la surface sous vos pieds, vous permettant de voir que vous vous tenez sur un promontoire rocheux surplombant un profond abîme noir. L’air est chaud et il n’y a nulle trace de brise. Sans hésitation, vous faites un pas en avant et vous vous lancez dans le vide. Dès que votre pied rompt le contact avec la terre, la falaise s’éloigne et vous plongez dans de profondes ténèbres.
Biographie
Sarah Stevenson est une artiste qui travaille avec la sculpture et le dessin. Née en Angleterre, elle a grandi dans différentes villes du Canada et a obtenu un BFA de l'Université de Victoria en 1984, puis s’est installée à Montréal dès 1988. Les œuvres de Stevenson ont été présentées dans des expositions individuelles et collectives au Canada et à l'étranger, notamment au Musée des beaux-arts de l'Ontario, au Musée d'art contemporain de Montréal, au Stedelijk Museum d'Amsterdam, à la Galleria d'Arte Moderna de Bologne et à l'Esker Foundation de Calgary. Stevenson est représentée par la Galerie Blouin/Division depuis le début des années 90 et, plus récemment, par la Galerie Trépanier Baer de Calgary.
Expositions récentes
2021 | Before the Storm, Fonderie Darling, Montréal, Québec |
2020 | Still Falling, Trépanier Baer Gallery, Calgary, Alberta |
2019 | Galerie René Blouin, Montréal, Québec |
2018 | Nothing Hidden, The Esker Foundation, Calgary, Alberta |